Interview d'artistes : Steve Shehan

Interview d'artistes : Steve Shehan

Steve Shehan : homme acoustique et poétique

Sur scène ou en studio depuis une trentaine d’années, Steve Shehan parcourt le monde sans cesse. Voyageur, baroudeur, aventurier des sonorités du monde, aucun carcan ne l’enferme – sauf peut-être celui de l’expérience de la rencontre et de la curiosité partagée. Gardien d’un temple rythmique vigoureusement inspiré par l’Orient, nous avons rencontré Steve à l’occasion de la réédition de cinq albums cultes de sa discographie – histoire de vous faire découvrir un peu plus ce poète du rythme.

Accédez au concours !


"Aimer c'est trouver sa richesse hors de soi" Alain



Comment a évolué ton set depuis que tu pratiques les percussions ? Quels instruments t’ont donné le plus de nouveautés et d’adaptations dans ton jeu ?

J’ai toujours été attiré par l’idée du set « harmonieux », « accordé » ou accordable. Au départ, avec des congas (5/7) et des bongos et ce, bien avant que cela soit courant (années 70). Puis, par la force des choses, il m’a fallu avoir des sets modulables selon le style de musique que j’accompagnais : variétés, jazz, world sans parler des sets studio où là la palette se devait d’être étendue. Aussi, j’ai dès le départ proposé des sons venus d’ailleurs, d’Indonésie, du Brésil, d’Afrique, des sons latins, d’Asie aussi en tâtonnant parfois aussi jusqu’au set d’aujourd’hui, malléable, modulable, adaptable mêlant l’électronique au mélodique avec des tessitures larges. Le djembé, les balais, le Tom bass et le hadgini sont des instruments qui permettent le plus d’adaptabilité.


Tu es un grand fan des mesures impaires, que tu fais swinguer à merveille. C’est un travail de cheville ouvrière que de s’exprimer ainsi ? Ou bien c’est la passion qui l’emporte ?

Les mesures composées, oui ! D’abord le plaisir de les maîtriser pour pouvoir créer de façon plus large, plus enrichie, mais aussi parce que certaines cultures sont basées sur des mesures impaires et, pour pouvoir les « jouer » il a fallu s’y adapter et surtout les comprendre. Ensuite, la passion d’en approcher d’autres et de comprendre d’avantages de cultures de ce monde m’a amené à les jouer j’ose dire tout naturellement.


On te connaît principalement comme membre du Hadouk Trio, mais quels autres projets t’animent en ce moment ?

Plusieurs projets m’animent aujourd’hui, mais je dois dire que je suis plus qu’heureux de pouvoir aujourd’hui acquérir une sorte « d’autonomie » face aux circuits traditionnels de distribution du disque et d’ailleurs de la machine infernale dU référencement, licences et autres modes de transmission au public du marché de la musique. En effet, ayant repris tout mon catalogue par mon label « Safar » j’ai enfin la totale indépendance de pouvoir proposer petit à petit l’ensemble des albums que j’ai réalisés et composés dans un esprit « artisanal » où le rêve retrouve sa place. Tous les albums que je ressors sont réédités dans un format qui rappelle l’esprit des vinyles que nous aimions consulter et s’approprier. Ce « commerce direct » offre cette liberté longtemps écartée.

Mais en dehors de cette liberté regagnée je travaille également en ce moment en étroite collaboration avec des artistes connus comme Nitin Sawhney et Jon Hassel mais aussi j’envisage de très jolis voyages musicaux qui sont en préparation tant avec Darya Dadvar (magnifique chanteuse et compositrice iranienne) que des collaborations avec des musiciens du Tadjikistan.

Je travaille aussi sur le deuxième volet de l'album Elevations avec Reza Derakshani et la suite d’Indigo Dreams fait également partie des projets en cours pour les mois à venir.


Trouves-tu que les percussions soient aujourd’hui plus reconnues comme un instrument de musique à part entier que lors de tes débuts de carrière ?

Oui, un peu, si l’on regarde cela d’un angle général, pour la variété par ex., bien que pour les musiques dites « du monde » la percussion reste une sorte d’embellissement, une décoration. Il y a quand même une évolution mais elle est à double tranchant. Par exemple les sons des percussions sont plus souvent utilisés au travers de samples sans que l’utilisateur ne sache ce qu’il est en train de proposer à l’auditeur. Donc le son se galvaude dans une sorte de « perfection électronique » sans aucun savoir ni partage.


Tu viens de rééditer cinq de tes albums. Peux-tu décrire en quelques mots l’idée principale de chacun de ces disques, l’univers et les esprits qui le hantent ?

Comme je le disais plus haut, le fait de rendre disponible par le biais du net au monde entier une partie de ma discographie me rend heureux. Nous rééditons ces 5 albums car ce sont mes albums « phares » qui malheureusement ont été mal distribués et que l’on me demande toujours.

Alors, pour Assouf et Assarouf, le travail avec Baly Othmani, mon ami, mon frère aujourd’hui disparu. D’abord une très grande envie de lui rendre hommage, et ensuite cette passion pour la musique et la culture touarègue qui m’a amené à faire ces deux albums, mais aussi une anthologie de la musique traditionnelle touarègue (Ikewan). Je prépare le troisième volet, « Assikel », que nous avions enregistré Baly et moi et qui est un inédit.

 

Pour résumer, “Assouf “ est né de cette rencontre, rencontre qui m’a profondément bouleversé, rencontre de deux musiciens de traditions et d’origines très différentes, mêlant nos univers créatifs personnels par l’écoute et le respect de l’autre.

 

Pour “Assarouf “ nous avons exploré plus avant la fusion musicale traditionnelle et moderne. Nous avons étendu les ingrédients, les épices sonores et créatives : adjonction des choeurs de “l’ensemble vocal Baly”, recherche vers le sacré et le magnétique avec Khadija, mère de Baly. L’album sort du carcan ethno-trad pour devenir accessible à tous par le biais de chansons remises en forme par Baly et moi et ce, incluant une orchestration et une approche moderne.

 

Safar : j’ai mis 5 ans à réaliser cet album, véritable carnet de voyages, grand tournant dans ma démarche artistique. J’ai pu au travers de cet album mettre en valeur d’autres cultures que j’ai également souhaité faire se rencontrer. Safar (le voyage) est une rencontre des Moyens-Orients dans un voyage intemporel. Ce voyage est un survol d’une partie du monde, qui irait de l’Espagne à l’Indonésie, en passant par le Maroc, le Sahara, l’Egypte, l’Ethiopie, l’Arabie Heureuse, le Liban, l’Arménie, le Pakistan, l’Indonésie et le Sénégal. Ces pays peuvent être représentés par un texte, une mélodie, un instrument, ou même parfois une épice. Safar est l’aboutissement d’un rêve, d’un voeu, faire se rencontrer des instruments, des musiciens, témoins de cultures, d’inspirations et d’horizons différents. Multiples influences “orientales” disséminées de par le monde, messages multi-confessionnels, polychromes et pluri-ethniques. Civilisations riches de poètes, de savants, d’aventuriers, d’érudits et de nomades “éclairés”.

 

Indigo Dreams : il constitue le pendant, la suite logique d’”Arrows”. Il fait partie d’une trilogie que je continue d’écrire, le 3ème volet est en cours. Un travail un petit peu différent des autres, plus lié à la recherche et la musique contemporaine. Par rapport au premier volet (Arrows) l’écriture évolue vers des pièces plus courtes, plus concises, mais l’intention, l’intuition est identique, celle d’éveiller l’art nocturne, l’art du rêve.

Principalement inspiré par “La nuit de l’indigo” (nouvelle de Satyajit Ray), cet album est aussi un hommage à tous les écrivains-poètes, aux artistes, ces décodeurs de l’imaginaire.

 

Amok : c’est en quelque sorte la préparation de « Safar », la rencontre avec d’autres musiciens, en Espagne notamment, dans le monde classique aussi, en Tchécoslovaquie, aux Etats-Unis,…

Mais Amok ou “la folie meurtrière”, si bien décrite par Stefan Sweig, est surtout un de ces états qui déclenche le désir pressant de dire la passion. Voilà où pour moi cette inspiration, qu’elle soit issue de fièvres de l’âme, du cœur ou de l’esprit, transcende toujours l’émotif pour construire.