Interview à Gauthier Aubé

 Interview à Gauthier Aubé

J'aimerais savoir quel est ton parcours musical et comment en es-tu venu à cet instrument millénaire qu'est le didgeridoo ou Yidaki ?

J’ai commencé la musique assez tard, à 18 ans. Avant cela, je n’avais jamais pratiqué d’instrument, et pour être honnête, j’étais plutôt traumatisé par les cours de flûte du collège !
À cette période, j’avais envie de découvrir la musique et de trouver un instrument un peu atypique. C’est mon frère jumeau qui m’a mis sur la voie : il revenait d’un concert de Kaophonic Tribu et m’a offert leur album en me disant :
« Écoute ça, il y a du didgeridoo dedans, je suis sûr que ça va te plaire. »
À l’époque, j’avais quitté le lycée après avoir redoublé ma seconde et ma première. Je travaillais comme livreur de pizzas pour payer mon appartement, ce qui me laissait beaucoup de temps
libre… que j’ai vite consacré 100% au didgeridoo.
Très rapidement, j’ai découvert l’association de didgeridoo de Dijon, ce qui m’a connecté aux joueurs et joueuses de l’époque. C’était une période vraiment enthousiasmante, pleine de découvertes et de rencontres !

Comment en es-tu arriver à réaliser une méthode et quels sont les supports que tu as utilisé pour l'élaborer ?

Le didgeridoo, ou plutôt le Yidaki dans sa forme traditionnelle, est un instrument multimillénaire venu des peuples aborigènes d’Australie. On ne sait pas exactement quand il est apparu, mais on sait qu’il est très ancien. Sur le plan contemporain, le didgeridoo est bien plus jeune. Il a commencé à se faire connaître dans les années 1990, notamment grâce à Jamiroquai qui l’a popularisé à l’international. Quand
j’ai commencé à jouer, il existait très peu de support d’apprentissage. Tout se faisait de manière intuitive, et comme tout se passe à l’intérieur du corps (langue, mâchoire, joues, cordes vocales,
souffle…), c’est très difficile de comprendre ce qui se passe sans repères visuels. C’est justement ce mystère qui m’a passionné. J’ai passé énormément de temps à expérimenter, à observer, à chercher à comprendre. Puis rapidement, j’ai commencé à enseigner car la pédagogie me permettait d’affiner ma propre compréhension.
De fil en aiguille, cela m’a conduit à écrire une méthode complète pour apprendre toutes les bases du didgeridoo, puis à fonder mon école de didgeridoo en ligne, « Wakademy », dans laquelle je propose des formation vidéo complètes et des stages. J’ai également créé un jeu de cartes, Wakatoo, qui permet de composer ses propres rythmes. Chaque carte représente une onomatopée correspondant à un son du didgeridoo, que l’on peut articuler pour créer des combinaisons rythmiques. Je travaille actuellement sur une version mobile de Wakatoo qui génèrerait automatiquement des rythmes à reproduire.

Est ce un instrument qui peut se marier à divers styles musicaux (métal, rock, etc..) ?

C’est une question complexe. Le didgeridoo est un instrument vraiment particulier :
• D’un côté, c’est un instrument rythmique, proche des percussions.
• De l’autre, il peut produire des sons longs et continus, ce qui le rapproche d’instruments mélodiques. Mais contrairement aux instruments mélodiques, il ne joue qu’une seule note (même si certaines
techniques comme les survibrations permettent d’obtenir d’autres notes, ça reste anecdotique et pas forcément mélodique).
Donc ceci posé, on peut évidemment l’intégrer à différents styles — et certains l’ont déjà fait — mais à mon sens, on n’a pas encore trouvé la clé parfaite pour l’intégrer pleinement à nos
musiques occidentales. Aujourd’hui, la technique du didgeridoo est bien théorisée. Le grand défi, maintenant, c’est d’en faire de la musique. C’est d’ailleurs le défi que l’on s’est donné avec Volte, le groupe qu’on a monté.

Quels seraient les conseils que tu donnerais pour quelqu'un qui veut s'y mettre mais qui ne connait pas cet instrument ?

Le premier conseil, c’est de ne pas investir trop cher au début. Un didgeridoo « n’est qu’un tube“ : on peut commencer avec un modèle en PVC, en bambou, ou même un didgeridoo en plastique, comme ceux qu’on trouve chez vous aussi. Ensuite, je conseille d’écouter du didgeridoo. Ca parait bête, mais nous n’avons pas grandi avec cette culture musicale, et souvent, ce qui
freine les débutants, c’est ce manque de repères auditifs. Plus on écoute, plus on comprend la structure des sons, et plus on est capable de reproduire ces sons.
Et bien sûr — sans faire trop de pub :) — je recommande aux débutants d’aller voir mes cours gratuits sur Wakademy, qui permettent de poser toutes les bases : le son fondamental et surtout le souffle continu, la technique la plus recherchée au début.

Peux-tu nous dire un mot sur le souffle continu ?

Le souffle continu c’est tout un monde !
La base consiste à créer une poche d’air dans la bouche (souvent en gonflant les joues) et à inspirer par le nez pendant qu’on vide cette poche d’air dans l’instrument. Cela permet de jouer sans s’arrêter pendant plusieurs minutes.
Le souffle continu est le cœur du rythme au didgeridoo. Il faut apprendre à placer de toutes petites inspirations à des moments précis des phrases musicales pour garder le groove.
C’est, avec le son de base, la première technique à maîtriser pour pouvoir vraiment s’amuser en jouant. Et au-delà de la technique, il y a une dimension méditative : une fois le souffle continu maîtrisé, on entre dans un état de conscience modifié, où le son circule à travers nous. C’est une sensation très agréable, presque hypnotique.
Et puis ensuite, on découvre qu’il n’existe pas un, mais plusieurs types de souffles continus… Et là, on commence à comprendre que le didgeridoo est un instrument immensément riche !

Après avoir passablement redoublé ma seconde et ma première, j’arrête le lycée à 18 ans…Nous sommes alors à l’automne 2001 et je découvre le didgeridoo un mois plus tard. La passion arrive tout de suite, au point que des semaines plus tard, j’annonçais à qui voulait l’entendre que j’en ferai mon métier !Je souffle alors des heures. J’apprends sur le tas. Je cours les festivals de didgeridoo (plutôt rares mais existants !) et les rencontres de joueur.euse.s. Maniaque du son (!), je me fais vite remarquer par la précision de mon jeu et le style nouveau qui s’en dégage. Va alors s’en suivre des années de concerts et de stages à travers l’Europe et le monde : de Barcelone à Budapest en passant par Lisbonne, Berlin, Paris,Taïwan, Zagreb ou encore Moscou.En 2018, je crée Wakademy, l’école française du didgeridoo, qui regroupe plus de 4500 membres. En 2022, je collabore avec Kaophonic Tribu sur l’album PhœnX et en 2023 je fonde VOLTE, un projet qui a pour tâche de placer le didgeridoo au centre d’un projet musical rock aux accents orientaux. Alors ami.e.s du son préparez-vous, ça va souffler !
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